L’art du ‘hei’ (avec Tinaia de Lei po’o in Tahiti)

Une feuille de « faux caféier ». Deux de polyscia. Des fleurs de bougainvilliers fuchsias. Des tiare.

On penserait qu’elle ne réfléchit pas à ce qu’elle fait. D’ailleurs, elle me le confirme en riant. Assise au bord du ‘Bain de la Reine’, dans le jardin de l’Assemblée où des oies gaillardes s’ébattent au milieu des lotus, j’observe Tinaia Lucas choisir ses fleurs parmi la flopée multicolore devant elle (« Je vais rentrer le pied, ce n’est pas très élégant » avise-t-elle tandis que je pointe mon zoom sur sa couronne, entamée il y a cinq minutes et déjà remplie au tiers). Si l’on peut toutefois appeler ça choisir : les fleurs/fougères/feuilles semblent s’aligner d’elles-mêmes le long du ruban de pandanus séché, Tinaia ne faisant plus que figure d’exécutrice. « Slave of flowers », ainsi qu’elle se décrit elle-même sur sa page Instagram perso. [Update : Elle vient de créer un compte Instagram pro, voir Liens tout en bas de cet article !]

Une tige de fleurs de auti. Deux fleurs de frangipaniers. Quelques bourgeons d’ochne. Une petite poignée d’épine du Christ…

Tinaia aime ses couronnes sporadiques, tout en épars comme un feu d’artifice.

En réalité, elle doit son coup de main affûté à des années de pratique. Et d’abord à sa tante, qui lui enseigne la confection de couronnes lorsqu’elle a sept ou huit ans. « C’est de famille. » C’est vrai, l’artisanat, c’est souvent de famille. Mais Tinaia ne se cantonne pas aux hei (‘couronnes’ en tahitien) : à la fin de chaque année scolaire, ses professeurs reçoivent un bouquet végétal de sa composition.

Aujourd’hui, elle a dix-neuf ans et sa passion n’est allée qu’en s’amplifiant. Elle veut en faire son métier. Ça ne me surprend pas. Être animé par ce que l’on aime et vouloir en vivre, je m’y connais un brin. En revanche, ce qui m’a constamment fait défaut, c’est la conviction, et j’admire celle de Tinaia qui paraît avoir toujours su ce qu’elle allait faire.

J’imagine que ses proches n’ont pas été surpris non plus. Qu’ils ont peut-être été un peu inquiets mais qu’ils n’ont cessé de la soutenir. Qu’ils ont voulu assurer ses arrières en lui conseillant d’obtenir un BTS assistant de gestion afin d’acquérir des compétences commerciales, avant de se lancer (plus qu’un an !).

En attendant, pas le temps de s’égarer. Je l’ai connue via sa page Facebook, qu’elle alimente de ses créations et, surtout, de tutoriels. Selon elle, ces derniers ont largement contribué à la faire connaître. En effet, ‘Lei po’o* in Tahiti’ totalise sept mille likes et lorsqu’elle m’apprend qu’elle a créé la page il y a seulement deux mois, je suis impressionnée. Elle prend aussi les commandes, mais le jour de notre rencontre, celles-ci sont temporairement closes car elle doit préparer un shooting en collaboration avec une marque de bijoux, qui a lieu le week-end même.

Un succès pareil, il faut le vouloir, c’est certain (je vous ai dit qu’elle est passée à la télé et à la radio et qu’elle a coiffé des danseuses du Heiva ?). Je crois également qu’il s’explique par l’amour que l’on porte à notre culture, nous autres des îles. Et quoi de plus emblématique que la couronne de fleurs végétales ?

En Polynésie, tout événement est prétexte à porter une couronne de fleurs. Les soirées, les spectacles, les grands repas, les anniversaires, les fêtes, les réunions, en boîte, à l’aéroport, pour les photos de classe et même les randonnées !

Ou simplement pour le plaisir, entre copines/cousines.

Parce qu’une couronne de fleurs, comme le résume Tinaia avec une simplicité infaillible, c’est un bijou. Le bijou des occasions spéciales, le bijou de tout le monde, indifféremment du sexe, de l’âge et de la classe sociale.

Et surtout, soyons honnêtes, c’est photogénique.

Maintenant que j’y pense, il ne pouvait y avoir meilleur artefact que la couronne de fleurs pour représenter la belle Tinaia (et la vahine d’une manière générale) dont les valeurs sont – et je suis formelle – le naturel, la positivité et la simplicité.

Mais assez parlé. Tinaia me propose de réaliser une couronne à mon tour. J’accepte volontiers, quoique légèrement perplexe. Pas parce que j’ai peur de me ridiculiser face à son talent (enfin si, un peu). Plutôt parce que je suis étonnée qu’elle m’offre spontanément de partager son savoir-faire. Peut-être ne suis-je jamais tombée sur les bonnes personnes, mais des artisans que j’ai pu rencontrer auparavant, j’en garde le souvenir d’une réserve quant aux détails de la fabrication, par crainte de la concurrence et du vol.

Tinaia n’est pas comme ça. La confection de couronnes, ce n’est pas comme ça. Je le comprends rapidement tandis que j’arrange fleurs et feuillages sous les instructions de ma professeure. Mais je n’ai pas la sensation d’assister à un cours : au contraire, il me paraît que je suis avec une amie, on bavarde et c’est tellement agréable, là, dans ce coin ombragé au bord de l’eau. Je ne pense plus à rien d’autre que les connaissances communes qu’on est en train de se découvrir et à ma couronne qui prend forme. Hé, mais c’est que ça commence à ressembler à quelque chose… « Pas mal ! » me congratule la maman de Tinaia, qui était restée avec nous tout ce temps.

Je suis fière de ma couronne. Je vais la montrer à tout le monde. Et je songe que je peux désormais en confectionner moi-même pour les sorties plutôt que de les acheter systématiquement au marché (et que ça va être trop la classe).


Réalise ta couronne !

Il te faut :
- Une base : nous on a utilisé du ruban de pandanus séché
- Une bobine de ficelle (on en a pris de couleur verte pour qu'elle se confonde avec le feuillage)
- Du feuillage (fougères et feuilles)
- Des fleurs, beaucoup de fleurs !
  1. Coupe le ruban de pandanus à la taille de ton tour de tête.
  2. Attache la ficelle à l'une des extrémités du ruban. Tu n'as pas besoin de couper la ficelle, laisse-la liée à la bobine que tu dérouleras au fur et à mesure. Veille à laisser environ dix centimètres de ficelle à l’autre bout.
  3. Place un premier élément (feuillage ou fleur(s)) à l'endroit où tu as attaché la ficelle. Avec celle-ci, joins l'élément au ruban en l'enroulant avec la ficelle : un tour suffit, inutile de faire un nœud. Serre suffisamment pour que l’élément tienne mais sans qu’il ne se casse.
  4. Ajoute un deuxième élément (note : cela peut aussi être un groupe d’éléments : deux ou trois fleurs par exemple) en veillant à le placer vraiment tout à côté du premier élément.
  5. Alterne ainsi les éléments, les couleurs et les volumes (en général, les couronnes polynésiennes sont épaisses, donc n’hésite pas à être généreux sur la quantité d’éléments). Exerce ta créativité !
  6. Une fois la couronne remplie entièrement, au lieu d’enrouler simplement la ficelle autour du dernier élément, fais un nœud, coupe la ficelle et rattache-la à l’autre bout. La couronne doit tenir sur le haut de ton front, fais des ajustements avec la ficelle si nécessaire.
Et voilà ! C’est aussi simple que ça. Rien de plus chouette que de confectionner sa couronne avec des éléments de son jardin, ou à défaut trouvés dans la nature lors d’une promenade. Inspirez-vous des créations des autres, sur la page de Tinaia par exemple :-) (voir Liens ci-dessous) ou encore sur Pinterest.

Explications en vidéo avec Tinaia (clique !)


Un peu de vocabulaire (juste un peu) :

Hei (tahitien) ; lei (hawaïen) = couronne
Upo’o (tahitien) ; po’o (hawaïen) = tête
Tui hei (tahitien) = la confection de couronne

Notes :

– En Polynésie, on différencie trois façons de confectionner ses couronnes : « piqué », c’est-à-dire que les éléments sont cousus sur la base ; « tressé » : la base et les éléments sont tressés ensemble ; « enroulé », ce qu’a réalisé ici Tinaia, la technique la plus accessible.
– Il existe un tas de type de couronnes (la fameuse couronne Pomare notamment), et pas seulement de tête : pour le cou (les ‘lei’ hawaïens, ou encore les colliers végétaux), autour du chignon ou du poignet (‘poara), etc.
– On peut réaliser des couronnes avec un seul élément (une couronne entièrement constituée d’un type de fougère par exemple) ou encore jouer avec de très grands volumes (voyez donc ici et , ouah). La seule limite est votre imagination. Encore une fois, regardez ce qui se fait ailleurs en tapant « couronnes polynésiennes » sur Google Images.

Liens cools :

La page Facebook de Tinaia, ‘Lei po’o in Tahiti’
Son compte Instagram pro
Les fleurs de Polynésie française


Un grand merci à Tinaia qui m’a fait découvrir sa passion le temps d’une belle matinée, à sa maman pour son aide durant le shooting, à sa tatie que je ne connais pas mais sans qui cet article n’aurait pas existé, à Tonton, Titaua et leur groupe Facebook de choc pour le nom des plantes, à Yannick et au personnel de l’Assemblée de la Polynésie française de nous avoir permis l’accès au jardin.

Et plein de bisous à nos mamies respectives, la sienne parce qu’elle l’adore et la mienne parce que c’est elle qui est allée cueillir toutes ces fleurs, co-vedettes des photos, aux quatre coins de Tahiti. Et parce que je l’adore aussi, bien entendu. 


8 réflexions sur “L’art du ‘hei’ (avec Tinaia de Lei po’o in Tahiti)

  1. Je me suis évadée le temps de cet article…magnifique….il met bien en avant la simplicité et le talent de Tinaia…et nous donne envie d’apprendre à confectionner nos propres couronnes de fleurs 🌸

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    1. Merci beaucoup pour ton commentaire Timia, ça me touche. Et oui comme tu dis, Tinaia c’est la simplicité et le talent. Oui, vraiment, les couronnes sont faciles et agréables à réaliser, il faut juste se lancer!

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  2. Je viens de découvrir ton site…une pure merveille et quel talent tu nous montres.
    Tes réalisations sont splendides et j’aimerais tellement retourner là bas (c’est dans nos projets) et peut-être aller vois sur place toutes les belles choses que tu fais.
    Merci et milles bravos

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  3. Je suis toujours autant amoureuse de ton blog. ❤ J’adore cet article, la manière dont tu nous racontes cette rencontre, et puis ce que tu choisis de nous montrer, je veux dire, cette tradition est tellement intéressante, moi ca me fait pétiller les yeux.

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  4. Coucou Temehani ! Je prends enfin le temps de te laisser un petit mot sur ce magnifique article 🙂
    Je ne pensais pas que c’était aussi simple de faire une couronne (en fait j’avais plutôt en tête la technique où on coud les éléments). Je suis Tinaia sur Facebook depuis le début de sa page, et j’ai trouvé ça tellement beau que quelqu’un partage sa passion avec des tutos qui plus est !
    Un très bel article pour une très belle personne et un projet sincère, tu m’étonnes que ça cartonne 😉
    Des bisous Temehani, et à bientôt ! (je rentre à Tahiti à Noël 😀 )

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    1. Moi non plus je ne m’attendais pas à ce que ce soit si facile ! Et puis une fois que tu as fait ta première couronne, y a plein d’idées de combinaisons d’éléments qui te viennent et t’as juste envie d’en confectionner plein. Je peux facilement comprendre pourquoi beaucoup comme Tinaia sont passionnés ! 🙂
      Hey, trop contente d’apprendre que tu vas revenir ! On se verra pour sûr 😀 Bises.

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